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En 1847, Gustave Flaubert parcourt la Bretagne à pied, avec son ami Maxime Du Camp. Ils en tireront un récit, « Par les champs et par les grèves », où le style a le souffle d’une épopée. Tout en ayant la dent dure pour les villes traversées. Brest, dont ils admirent « la symétrie factice et la propreté imbécile », en prend pour son grade. Mais la pointe Saint-Mathieu les séduit, et nous ne ferons pas mentir Flaubert.
Après avoir quitté « la sauvagerie silencieuse des environs de Crozon et de Landévennec », les deux bourlingueurs font du longe-côtes, sans combi comme font de nos jours les dames, et en restant à pieds secs. « Le fer de nos souliers sonnait sur le pavé, sur nos dos nos sacs battaient la mesure, nos bâtons retombaient d’accord, et la fumée de nos pipes s’échappant sur le bord de nos chapeaux se tordait comme un panache ». Ils savourent ces « sentiers vagabonds faits pour les pensées flâneuses », enjambant les haies et sautant les fossés. « C’est toujours un plaisir, même quand la campagne est laide », ne peut-il s’empêcher d’ajouter, chardonnant son récit de piques et d’épines.
À Daoulas, ils avalent « l’inévitable omelette et le veau fatal », puis un festin de fraises. Flaubert et Du Camp prennent le bac à Plougastel. L’endroit existe toujours, et s’appelle Le Passage, An Treizh. Une chapelle, Notre-Dame-du-Bon-Voyage, tente d’exorciser les nombreux naufrages qui ont eu lieu dans les eaux de l’Elorn. La traversée dans la lourde chaloupe est épique. Mais aux portes de Brest, ils retrouvent leur superbe, « poitrine nue et la chemise bouffant à l’air, le sac à l’épaule, blancs de poussière, hâlés par le soleil, avec nos habits déchirés, nos chaussures usées, rapiécées, nous avions belle allure vagabonde, insolente et pleine d’orgueil ».
« À cette époque, la cité du Ponant compte près de 900 prostituées, dont les deux tiers sont clandestines, que l’on appelle les "insoumises" »
Brest et ses filles insoumises
« Le port est beau, j’en conviens ; magnifique, c’est possible », lâche Flaubert en veine de compliments. Mais « en dehors de l’arsenal et du bagne, ce ne sont encore que casernes, corps de garde, fortifs, fossés… sabres et tambours ». Curieux de tout, Gustave visite le bagne, « que l’on confond souvent avec la prison de Pontaniou, à Recouvrance, alors que le bagne était sur la rive gauche de la Penfeld, rappelle l’historien Alain Boulaire, la mémoire de Brest. On le surnommait le Versailles des bagnards, car il y avait l’eau courante ». Les bombardements de 1944 ont balayé tout le vieux Brest, et il ne reste que de rares vestiges du temps de Flaubert : le château transformé en place forte par Vauban, et le cours Dajot dont la muraille était jadis mordillée par les vagues.
Dans le « quartier des matelots », Gus et Max arpentent « les rues dites infâmes ». À cette époque, la cité du Ponant compte près de 900 prostituées, dont les deux tiers sont clandestines, que l’on appelle les « insoumises ». Aujourd’hui, elles restent « invisibles », présentes seulement sur internet, depuis que Le 46, un bar à hôtesses de la rue Émile Zola, a fermé, et que le patron de l’hôtel de passe de la rue de La Porte s’est fait coffrer. Flaubert semble se contenter d’une description des demoiselles, « tenues modestes et robes parisiennes », offre à boire, et allume un cigare. Il faut dire que sa mère est en ville, l’infatigable chaperon campe à l’hôtel, alors que d’ordinaire les deux gais lurons ne sont pas les derniers pour la « baisade ».
Gustave ne se mariera jamais, et n’aura que des aventures, quelque Lisette, mais pas d’enfants. Seule compte l’écriture. « La baisade ne m’apprend plus rien, écrivait-il deux ans plus tôt. Mon désir est trop universel ». Il aura beau proclamer « vouloir vivre en bourgeois, et penser en demi-dieu », l’amour n’est à ses yeux qu’un « assaisonnement » de l’existence. Ronchon déjà, mais Flaubert de Brest ! Regarde un peu vers l’ouest et cette rade, Gustave, qui s’ouvre sur la mer d’Iroise et l’océan.
Là où se termine l’ancien monde
Il appartient cependant à « ceux qui descendent au fond des choses ». Les deux hommes avaient piqué jusqu’à la pointe du Raz, « au Finistère même », et ils mettent maintenant le cap sur celle de Saint-Mathieu. « Jusqu’au Conquet, la route comme nageant dans la verdure monte et descend », cela n’a guère changé. Mais il affirme que Le Conquet « d’où les habitants semblent partis, ne vaudrait pas la peine de s’être dérangé, s’il n’y avait, non loin, l’abbaye démantelée de Saint-Mathieu ». À tort, désormais il y a foule au Conquet, l’été. Et cela vaut le plaisir de s’y arrêter. Ne serait-ce que pour s’attabler devant le maquereau grillé et laqué au mirin (un doux saké), flanqué de fenouil, du restaurant Sainte-Barbe.
Je me suis même baigné sur la plage de Portez, en contrebas, l’eau est glacée tant mieux, cela fait fuir le bourgeois. Toi, le baigneur de Trouville, le nageur de Seine, tu ne dis pas un mot des rivages bretons, où tu joues sur le sable en y dessinant des arabesques avec ton bâton. Qu’importe, la grève de Porsliogan offre une seconde chance aux frileux, et pour se réchauffer il suffit de monter en haut du phare de Saint-Mathieu. 163 marches, et 37 m de haut. Avec la nuit, un éclat blanc toutes les 15 secondes, qui vient caresser les toits de l’Hostellerie où d’heureux dormeurs digèrent leurs palourdes farcies.
« Ici se termine l’ancien monde, voilà son point le plus avancé, sa limite extrême, derrière vous est toute l’Europe, toute l’Asie ; devant vous, c’est la mer et toute la mer, écris-tu, avant de prendre ton élan ». Avec « tout au fond là-bas dans l’horizon des rêves, la vague Amérique… quelque pays à fruits rouges, à colibris et à Sauvages, ou le crépuscule muet des pôles ». Là, tu te prends pour Chateaubriand.
Pratique
Hôtel Oceania, 82 rue de Siam, Brest, tél. 02 98 80 66 66. Château de Brest, Boulevard de la Marine, tél. 02 98 22 12 39. Musée des beaux-arts, 24 rue Traverse, Brest. Visite commentée des marines, mardi 11 août, tél. 02 98 00 87 96. Librairie Dialogues, Parvis Mare Paul Kermarec, Brest. Hostellerie de la pointe Saint-Mathieu, Plougonvelin, tél. 02 98 89 00 19. Restaurant Sainte-Barbe, Le Conquet, tél. 02 98 48 46 13.
August 06, 2020 at 11:00AM
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Flaubert en Bretagne (4/6) : « Nous avions belle allure vagabonde, insolente » - Le Télégramme
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